La Cour européenne des droits de l’homme affirme avec force le caractère fondamental du droit à la vie. Sa jurisprudence, en constante évolution, façonne les contours de cette protection essentielle au cœur de nos démocraties.
L’affirmation du droit à la vie comme valeur suprême
La Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit à la vie dans son article 2. La Cour de Strasbourg l’a érigé en valeur suprême, soulignant son caractère inaliénable. Dans l’arrêt McCann c. Royaume-Uni (1995), elle affirme que ce droit constitue « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques ». Cette position de principe guide l’interprétation extensive de l’article 2 par les juges européens.
La jurisprudence impose aux États une double obligation : s’abstenir de donner la mort de manière intentionnelle et illégitime, mais aussi prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie. L’arrêt L.C.B. c. Royaume-Uni (1998) illustre cette approche en condamnant l’État pour n’avoir pas suffisamment protégé la santé d’enfants exposés à des essais nucléaires.
L’encadrement strict du recours à la force létale
La Cour admet que le recours à la force létale puisse être « absolument nécessaire » dans certaines circonstances limitées. Toutefois, elle exerce un contrôle rigoureux sur la proportionnalité de son usage. L’affaire Andronicou et Constantinou c. Chypre (1997) illustre cette approche : la Cour a jugé que l’usage de la force létale lors d’une prise d’otages était justifié, les autorités ayant épuisé toutes les autres options.
La jurisprudence impose une planification minutieuse des opérations susceptibles d’impliquer un usage de la force létale. Dans l’arrêt Makaratzis c. Grèce (2004), la Cour a condamné l’État pour le manque d’organisation d’une course-poursuite ayant conduit à des tirs excessifs sur un conducteur en fuite.
La protection de la vie face aux risques environnementaux
La Cour a progressivement étendu la portée de l’article 2 aux risques environnementaux menaçant la vie humaine. L’arrêt Öneryildiz c. Turquie (2004) marque un tournant : l’État est condamné pour n’avoir pas pris les mesures préventives nécessaires face au risque d’explosion d’une décharge, causant la mort de plusieurs personnes.
Cette jurisprudence s’est confirmée dans l’affaire Boudaïeva c. Russie (2008), où la Cour a sanctionné les autorités pour leur inaction face à des coulées de boue meurtrières prévisibles. Les juges imposent désormais aux États une obligation positive d’information et de prévention face aux risques naturels ou industriels.
Les enjeux bioéthiques : entre protection de la vie et autonomie personnelle
La jurisprudence sur le droit à la vie se heurte parfois à d’autres droits fondamentaux, notamment l’autonomie personnelle. L’arrêt Pretty c. Royaume-Uni (2002) illustre ce dilemme : la Cour a refusé de reconnaître un « droit de mourir » découlant de l’article 2, tout en admettant que l’interdiction absolue du suicide assisté pouvait poser question au regard du droit au respect de la vie privée.
La question du début de la protection de la vie reste débattue. Dans l’affaire Vo c. France (2004), la Cour a refusé de se prononcer sur le statut juridique de l’embryon, laissant une marge d’appréciation aux États en matière d’interruption volontaire de grossesse. Elle veille néanmoins à ce que les législations nationales préservent un juste équilibre entre la protection du fœtus et les droits de la femme enceinte.
Le renforcement des obligations procédurales
Au-delà des obligations substantielles, la Cour a développé une jurisprudence exigeante sur le volet procédural du droit à la vie. L’arrêt Hugh Jordan c. Royaume-Uni (2001) pose les critères d’une enquête effective en cas d’homicide impliquant des agents de l’État : indépendance, célérité, caractère approfondi et participation des proches de la victime.
Cette obligation d’enquête s’étend désormais à tous les décès suspects, y compris dans un contexte médical. L’affaire Calvelli et Ciglio c. Italie (2002) a ainsi condamné l’État pour la lenteur excessive d’une procédure concernant un décès en maternité, soulignant l’importance d’établir rapidement les responsabilités dans ce type de situation.
Les défis contemporains : disparitions forcées et « juridiction » extraterritoriale
La Cour a dû adapter sa jurisprudence aux nouvelles menaces pesant sur le droit à la vie. Dans l’arrêt Varnava c. Turquie (2009), elle qualifie la disparition forcée de « violation continue » de l’article 2, imposant aux États une obligation permanente d’enquête tant que le sort de la personne n’est pas élucidé.
La question de l’application extraterritoriale du droit à la vie pose également de nouveaux défis. L’arrêt Al-Skeini c. Royaume-Uni (2011) a étendu les obligations de l’État en matière d’enquête aux décès survenus lors d’opérations militaires à l’étranger, dès lors que l’État exerce un « contrôle effectif » sur la zone concernée.
La jurisprudence européenne sur le droit à la vie ne cesse de s’enrichir, réaffirmant son caractère fondamental tout en l’adaptant aux enjeux contemporains. Elle impose aux États des obligations toujours plus précises, renforçant la protection de ce droit essentiel au cœur de nos démocraties.